L’épreuve du temps est destructrice. Non seulement en effaçant de notre mémoire de nombreux faits, dates et chiffres, mais en outre en brouillant l’image que nous gardons de ceux qui ont joué dans notre vie un rôle important.
Il déforme aussi celle que nous avions gardé de nous-mêmes.
La tenue rigoureuse d’un Journal est une formidable protection contre cette érosion. Mais en même temps elle rend nos erreurs plus évidentes et nos échecs plus flagrants. A la fois source d’expérience et d’humilité, elle place les succès dont nous sommes les plus fiers dans la perspective de ceux encore plus remarquables atteints par d’autres.
La mise à jour du présent ouvrage m’a permis de dégager quatre axes de réflexion :
Le premier concerne à la fois la réalité des objets volants non identifiés et ce qu’ils signifient.
La triste vérité est que les réponses à ces deux interrogations restent aussi mystérieuses que dans les années soixante.
Aux principaux cas que j’ai archivés à mesure où ils se produisaient (Socorro, l’affaire du “gaz de marais” du Michigan, Monticello, l’enlèvement des Hill, etc.) ont succédé bien d’autres encore tout aussi sensationnels, pendant les années 70 et 80. La rencontre rapprochée de deux pêcheurs à Pascagoula ou l’abduction de Travis Walton firent les manchettes des journaux et mirent régulièrement Allen Hynek à contribution avant de retomber dans l’oubli quelques semaines plus tard. Elles ne servirent qu’à grossir nos bases de données sans jamais fournir le moindre modèle d’explication à un phénomène qui au contraire semblait s’ingénier à nous envoyer des signaux sadiquement contradictoires.
Après que la nouvelle analyse sur ordinateur des tendances historiques que j’entrepris dans le milieu des années soixante-dix ait donné un graphique remarquable montrant que les regains (“vagues”) d’activité ne sont pas périodiques, Fred Beckman et le professeur Price-Williams de l’UCLA (Université de Californie de Los Angeles) signalèrent la ressemblance qui existe entre cette répartition et les “schémas de renforcement” caractéristiques des processus d’entraînement ou d’apprentissage. Autrement dit, le phénomène ovni se comporterait comme un système de contrôle plutôt qu’à la manière dont se ferait une exploration par de visiteurs venus de l’espace.
De nombreux systèmes de contrôle sont présents dans notre environnement. Certains naturels, comme l’écologie, les bouleversements climatiques ou la démographie; d’autres de nature sociale, comme le processus d’éducation supérieure, la justice ou les camps de concentration. D’autres enfin sont d’origine humaine, comme les mécanismes de contrôle d’attitude des fusées ou des satellites ou encore l’humble thermostat au mur de votre appartement.
A supposer que le phénomène ovni soit un système de contrôle, est-il possible de le tester pour déterminer s’il est naturel ou artificiel, ouvert ou fermé ?
Ces questions, parmi les plus intéressantes à se poser à son sujet, n’ont toujours pas trouvé réponse.
L’exposé de ces idées dans Le Collège Invisible, écrit en 1975, interpella les autres chercheurs car elle posait la question de l’origine psychique du phénomène, considérée comme choquante par ceux d’entre eux qui ne l’envisageaient que sous son aspect “tôles et boulons”, que nous avions déjà abandonné. Sa parution quelques années après Visa pour la Magonie contribua encore à élargir le fossé entre mes idées et celles des soucoupistes classiques jusqu’au point de non retour actuel.
Les occupants d’ovnis décrits par les témoins de rencontres rapprochées sont connus sous de multiples appellations : ufonautes, visiteurs, humanoïdes ou opérateurs.
Ils n’ont jamais cessé de se comporter de la façon absurde des acteurs de productions hollywoodiennes de série B sans jamais donner la moindre indication que leur présence ici bas répondait à un quelconque programme systématique. Pire encore, l’examen d’un bon millier de cas d’enlèvements n’a pas permis de dégager la moindre structure qui pourrait faire penser à une exploration de la Terre par des extraterrestres. La technologie de ces créatures n’est qu’un simulacre de très mauvaise qualité et de plus complètement dépassé à la fois sur le plan biologique et technique. Puisqu’il est évident que la véritable raison de leur furtivité et de l’absurdité de leur comportement reste incompréhensible, ne devrions nous pas commencer à nous demander si ce n’est pas parce que nos idées à leur sujet sont fautives dès le départ ?
Avant d’aller plus loin, demandons-nous ce que signifie “extraterrestre” pour la plupart des ufologues classiques. Aujourd’hui encore, l’acceptation la plus populaire se situe au niveau le plus élémentaire : les ovnis sont les nefs d’une civilisation originaire d’une autre planète et leurs pilotes sont des créatures humanoïdes aux yeux énormes, habituellement appelées “petits gris”, apparues après 1947 après l’observation de Kenneth Arnold.
Ces humanoïdes viendraient sur Terre soit pour récolter des minéraux ou des matières organiques et procéderaient à des enlèvements en vue d’expérimentations génétiques.
Idée qui au premier abord pourrait paraître presque acceptable, si ce n’est qu’elle passe sous silence que les déclarations d’un grand nombre de témoins sont en réalité très différentes de ce schéma, que les premiers cas ne remontent pas à 1947 ni même du début du XXe siècle et que leur contenu ne fait qu’exceptionnellement référence à des visiteurs spatiaux.
De plus, en présentant de nombreuses variantes déconcertantes, les descriptions des créatures elles-mêmes ne sont pas toujours conformes au portrait robot esquissé ci-dessus.
C’est de ce constat que m’est venue l’idée que l’origine des ovnis pourrait se situer dans une réalité multidimensionnelle dont notre continuum espace-temps ne serait qu’un sous-ensemble. Vue sous cet angle, je ne rejette pas entièrement l’hypothèse extraterrestre, à condition d’admettre que la forme d’intelligence que le phénomène représente coexiste avec nous sur cette planète tout comme il pourrait provenir d’une autre planète située dans notre univers ou dans un univers parallèle.
L’exercice de la méthode scientifique n’est pas toujours facile. Mes professeurs m’ont toujours appris que les fondements mêmes de la science reposent sur l’aptitude à contester tous les résultats précédemment obtenus, y compris les nôtres. Pourtant, combien de fois n’ai-je pas constaté que toute remise en question de l’origine extraterrestre de ces objets était accueillie comme un véritable camouflet par ceux qui ont besoin d’intégrer la possibilité de ces contacts dans leur propre système de référence de la réalité. Alors que ce genre de personnes tente de faire croire qu’elles sont en quête de vérités scientifiques, elles ne cherchent en réalité qu’à mettre en place de nouveaux dogmes.
Au fil des années, mon persistant refus de m’associer à toute coalition de ce genre a conduit inévitablement à des confusions regrettables et contribué à m’attribuer en même temps que certaines théories absurdes des propos que je n’ai jamais tenus. Par exemple, quand j’ai suggéré que le phénomène ovni pouvait être partiellement d’origine psychique, on en a souvent déduit que je considérais que les témoins étaient victimes d’illusions et que les objets ne présentaient pas la moindre réalité physique, ce que je n’ai jamais dit, écrit ni même pensé. Plus tard encore, ma remarque que certains cas avaient été manipulés par des sectes, souvent avec la complicité de services de renseignements, a été interprétée comme signifiant que j’avais renié mes premiers écrits et considérais à présent les “soucoupes volantes” comme des armes secrètes ou des instruments de tromperie d’origine purement terrestre, alors que jamais je n’ai dit cela. Pour en finir une fois pour toutes avec ce sujet, je me vois obligé de réaffirmer ici mes convictions, qui sont parfaitement cohérentes avec tout ce que j’ai écrit précédemment :
Le phénomène ovni existe. Il a été présent tout au long de notre histoire.
Il est de nature physique et la science actuelle est incapable de l’expliquer.
Il correspond à un niveau de conscience que nous n’avons pas encore atteint, est capable de manipuler les dimensions temporelles et spatiales que nous connaissons et affecte notre propre niveau de conscience d’une manière incompréhensible en se comportant globalement le comme le ferait un système de contrôle.
Capable de manipuler notre conscience par des méthodes inconnues, il s’accompagne en outre d’effets que nous ne pouvons que qualifier de paranormaux. Mais, tout comme mon confrère Allen Hynek, je suis convaincu que la science des siècles futurs finira par les expliquer.
En structurant nos croyances religieuses et notre conception de l’univers, ce phénomène a aussi exercé une influence importante dans de nombreuses traditions mythologiques.
Il est possible qu’il nous trompe par les multiples déguisements sous lesquels il se présente à nos yeux, prenant divers visages dans différentes cultures : divins chez les premiers Hébreux ou les Mésopotamiens, farfadets chez les chroniqueurs du Moyen Age, sous la forme de démons à l’époque de l’Inquisition. Pour nos grand-parents, à la fin du dix-neuvième siècle, il a pu prendre l’aspect de fantômes ou de coups dans les murs, ou encore celui de la Très Sainte Vierge pour les croyants.
A notre époque technologique, il a pris l’apparence d’astronautes en combinaisons spatiales.
Ma seconde réflexion concerne la réaction des milieux scientifiques face à ce phénomène.
Ici encore, on ne peut que constater l’absence d’évolution depuis la publication de la première édition de ce livre.
La seule véritable raison qui a permis à l’Armée de l’air américaine de se débarrasser si facilement de la façon désinvolte avec laquelle elle avait traité la question réside dans le manque d’information, voire même le total désintérêt de la communauté scientifique, aux Etats-Unis comme à l’étranger. Pour la plupart des chercheurs, le seul fait d’évoquer le sujet est synonyme d’aberration. Est-il besoin de s’en étonner quand on sait que personne n’a jamais pris la peine d’analyser les vraies données ? Aucune véritable étude scientifique n’a jamais été faite et celui qui a suivi ce journal jusqu’ici aura parfaitement compris pourquoi : alors que quelques chercheurs comme Allen Hynek et moi, avec une poignée d’autres, consacrions notre temps libre et nos ressources à assembler des collections d’anecdotes intéressantes, la puissante machine scientifique demeurait globalement sourde.
Notre plus grand échec fut de ne pas avoir su présenter à nos collègues un dossier suffisamment solide pour qu’il débouche sur une véritable étude du sujet.
Nous ne pouvons donc tout simplement pas spéculer sur ce qui aurait été découvert si elle avait eu lieu.
Comme je l’avais un jour dit à Hynek, nos efforts pour documenter les cas les plus intéressants et les présenter au public ne servit finalement qu’à paver le chemin d’un marché juteux à des orpailleurs qui firent les gros titres des journaux et des actualités télévisées avec des histoires à dormir debout à la mesure de l’effet qu’elles exerçaient sur l’opinion publique. Ce qui amena les milieux académiques à conclure qu’un phénomène aussi honteusement exploité à la fois par les médias et des zélotes excités et dénués de tout sens critique était indigne et de leur temps et de leur attention, si bien que nos appels furent tout simplement noyés par le tumulte ambiant.
Je continue à penser que ce désintérêt obstiné a été l’un des échecs intellectuels les plus graves de la science du XXe siècle.
Si celle-ci négligeait la question, que penser alors de la recherche privée? Tout comme en archéologie ou en médecine, on trouve de nombreux exemples de riches mécènes ou d’intrépides entrepreneurs qui ont sponsorisé de nouvelles friches de la recherche que l’Etablissement avait jusqu’alors dédaignées. Les noms de grandes familles telles que les Kettering, Ford, Rockefeller ou Carnégie sont synonymes de fondations qui ont permis certains des achèvements les plus prestigieux des arts ou des sciences. On peut regretter que ces familles n’aient jamais accordé la moindre attention aux ovnis, bien que pendant des années, Allen et d’autres avons essayé de réunir des fonds pour permettre des recherches ciblées.
La situation est inchangée aujourd’hui. Même si des personnalités influentes ont à l’occasion investi l’une ou l’autre ressource, ce fut toujours avec l’arrière pensée de financer des projets qui auraient servi à conforter l’adéquation de leurs idées favorites de l’origine extraterrestre des ovnis à l’exclusion de toute autre. Il s’agit là non seulement d’un biais qui serait jugé inacceptable dans n’importe quel autre sujet d’étude, mais de la garantie certaine que même si une démarche de ce genre apportait des résultats probants, ils seraient automatiquement disqualifiés par tout panel scientifique chargé de les apprécier. C’est un peu comme si on proposait de financer un nouvel observatoire planétaire, mais à la condition expresse que ceux qui y travailleraient acceptent au préalable la théorie d’une Terre immobile au centre de l’univers.
Le peu de recherche qui se fait aujourd’hui est aussitôt la cible des interminables critiques du sectarisme. Le travail constructif de quelques petits groupes d’amateurs continue à être dénaturé par les luttes d’influence entre factions multiples. Les rares scientifiques à l’esprit ouvert qui ont osé mettre les pieds dans cet échange de propos venimeux l’ont fait à leurs risques et périls, comme l’aurait été un touriste mêlé à une rixe de bistrot. S’il existe encore heureusement quelques rares bons enquêteurs qui font du véritable travail de terrain, leurs résultats ne sont que rarement publiés et un grand nombre de rapports intéressants sont perdus à jamais.
Allen et moi n’étions pas du même avis sur la question de l’urgence ou non de dénoncer le rôle que jouent les lobbys de désinformation gouvernementale que j’épingle dans ce livre.
Au fil des années, il a toutefois commencé à comprendre que, bien qu’indiscutablement réels, les ovnis n’étaient sans doute pas d’origine extraterrestre.
En octobre 1976, il avait courageusement déclaré à un journaliste :
“J’en suis arrivé au point d’accorder de moins en moins de confiance dans l’idée que les ovnis seraient des engins en tôles et boulons originaires d’autres planètes (...) Trop de choses ne collent pas avec cette idée. Il me paraît inconcevable qu’une intelligence plus évoluée que la nôtre prenne la peine de traverser d’énormes étendues d’espace dans le seul but de faire des choses aussi stupides que d’arrêter des moteurs de voitures, ramasser des végétaux ou des minéraux et faire peur aux gens. Je crois qu’il est temps de commencer à réexaminer les données et de nous interroger sur ce qui se passe tout près de chez nous.”
Inévitablement, nos conversations nous emmenaient toujours plus loin : les derniers développements de la parapsychologie, la nature psychique de l’homme et l’incapacité de la science d’appréhender les niveaux de la conscience humaine supérieurs. Nous débattions des états mystiques et de ce que représente l’initiation. L’homme que j’avais alors en face de moi était le véritable Allen Hynek, et il est dommage que ni ses collègues scientifiques ni les ufologues n’aient jamais eu l’occasion de rencontrer ni de découvrir ce que dans ces moments là, il aurait pu leur apporter. Il s’intéressait bien plus à la parapsychologie qu’il n’osait l’avouer en public. Après sa mort en 1986, son épouse Mimi m’annonça qu’il avait souhaité que sa bibliothèque sur le sujet me revienne. Elle est aujourd’hui partie intégrante d’une section très spéciale de la mienne sur laquelle je veille précieusement.
Dans l’exercice de mon actuelle profession d’investisseur en technologies de pointe, il m’arrive de me rappeler, non sans une certaine amertume, ce que j’ai appris au cours de ces années d’apprentissage : les idées préconçues et les tromperies évidentes dans de nombreux projets d’étude du paranormal, la débâcle du Projet Livre Bleu, le spectacle de la pusillanimité et de la mesquinerie des pontes scientifiques qui se prononcent sur n’importe quoi sans même savoir de quoi il est question, quand ce n’est pas la destruction pure et simple des données, comme je l’ai vu faire par mes directeurs de recherche au temps où je figurais sur les feuilles de paie du Comité français pour l’exploration de l’espace.
La troisième chose dont il faut parler concerne le scandale du Mémorandum Pentacle.
Il est très difficilement pardonnable que les services de renseignements américains aient pu avoir l’effronterie de barrer la route aux scientifiques du Jury Robertson en empêchant que leur soient communiqués des résultats que Pentacle et ses collaborateurs avaient déjà obtenus auparavant.
La découverte de ce document eut sur moi l’effet d’une bombe et me donna une vision très défavorable des pratiques du gouvernement américain et des hauts conseillers à son service.
Garder le silence à ce sujet en éditant par exemple ici ou là la première édition de ce Journal aurait rendu incompréhensibles certaines de mes activités passées. Elle fut la première raison de mon retour en Europe en 1967. En dévoilant certains aspects nauséabonds des pratiques scientifiques au plus haut niveau, elle fut en même temps une leçon très profitable au jeune astronome idéaliste que j’étais resté à l’époque.
Je ne sais toujours pas aujourd’hui jusqu’à quel point pouvaient aller les noirs desseins que ce document servit à couvrir. Des agents de la CIA avaient réuni les cinq plus éminents chercheurs scientifiques américains pour analyser objectivement certains cas d’intérêt potentiellement élevé, tant du point de vue scientifique que de la sécurité nationale. L’accès aux conclusions d’un organisme prestigieux de recherche financé par le gouvernement qui devaient être rendus publics lui fut refusé bien qu’il y fut cryptiquement fait allusion au cours d’une réunion entre le “Projet Stork” (Cigogne) et l’Institut Battelle, si l’on en croit le rapport aujourd’hui déclassifié daté de janvier 1953, signé par F.C. Durant a destination du sous-directeur des Renseignements Scientifiques de la CIA.
Le lecteur qui se souvient que ce comité ne réunissait pas les premiers venus admettra sans difficulté que le fait même qu’il n’a été demandé à aucun des membres de Battelle d’émettre un avis sur les résultats décrits dans le Mémorandum Pentacle est par lui-même consternant. Le Pr. Luis Alvarez avait reçu un Prix Nobel de Physique. Lloyd Bekner était un spécialiste de pointe de l’aérospatiale, Sam Goudsmit, du Laboratoire National de Brookhaven, reconnu comme un chercheur américain de premier plan dans le domaine de l’énergie nucléaire et Thornton Page un des plus éminents astronomes des Etats Unis.
Quand au Président de la commission, ce n’était nul autre que H.P. Robertson, physicien de renommée mondiale qui travaillait alors à l’Institut de Technologie de Californie (CALTECH).
Certains penseront peut-être avec raison qu’Allen aurait dû prendre les marches de l’Académie des Sciences d’assaut en brandissant ce document dès que je l’eus exhumé de ses papiers. Mais il était très réservé, fuyant confrontations et scandale, respectueux de l’autorité et très peu porté aux manœuvres en coulisse. Il m’avait un jour avoué que jamais il ne jetterait un coup d’œil sous son lit, même s’il était persuadé qu’il s’y cachait quelque chose.
Ce document demeura donc poétiquement dissimulé dans le sous-verre où par dérision je l’avais glissé, juste en dessous d’une reproduction en couleurs de tapisserie de La Dame à la Licorne. Cette reproduction resta longtemps suspendue à un clou dans son bureau de l’observatoire de Corralitos, dans les montagnes désertiques du Nouveau Mexique, à l’abri de la convoitise de journalistes inquisiteurs ou de celle d’ufologues intempestifs et ce n’est qu’après de douloureux débats de conscience que je me décidai enfin d’en révéler l’existence.
Les amateurs de conspirations trouveront peut-être là de quoi alimenter leurs théories d’une mise au secret du phénomène ovni remontant au moins à l’année 1953. Dans mon roman de SF en français Alintel, j’imaginais déjà en 1986 comment une étude financée par le Pentagone aurait pu se poursuivre en secret après la Commission Robertson. J’y exposais également pourquoi le Projet Livre Bleu n’aurait plus servi à partir de là que d’écran de fumée destiné à détourner l’attention des milieux académiques et du public dans son ensemble tandis qu’un petit groupe d’experts poursuivait discrètement l’étude des données. Des ufologues plus conservateurs pourraient de leur côté estimer que la seule preuve qu’apporte ce document est que des résultats importants n’ont pas été communiqués à des gens comme Alvarez, Robertson, Page et leurs pairs, sans pour autant démontrer l’existence d’une conspiration organisée. Si c’est le cas, pourquoi les conclusions du Comité Robertson n’ont-elles pas été rendues publiques? Se pourrait-il que les recommandations précises et intelligemment bien pesées de Pentacle de monter de toutes pièces de fausses observations là où l’on glanait de nombreux témoignages auraient été suivies d’effets? Tient-on là l’explication de certaines des observations bizarres qui furent rapportées au cours des années suivantes? Quand j’ai attiré l’attention sur les flagrantes manipulations des systèmes de croyance qui se profilaient derrière certains canulars, de nombreux chercheurs préférèrent rejeter cette idée. Je pouvais alors difficilement me justifier, puisque Allen et moi avions choisi de ne pas nous exprimer publiquement sur le sujet.
Il est impossible aujourd’hui de nier que dès le milieu des années cinquante les services de renseignement ont sérieusement et à une très large échelle envisagé la possibilité de ce type de désinformation. Les déclarations tardives du chercheur indépendant William Moore au sujet des opérations secrètes de l’OSI (Bureau des Enquêtes Spéciales de l’Armée de l’Air) confirment le scénario que dans mon livre “Révélations”, j’avais déjà évoqué dès 1991 et par conséquent je n’y reviendrai plus. C’est aux futurs historiens de la question que reviendra la tâche de décider objectivement si oui ou non a existé un projet du genre de ce que j’avais imaginé dans Alintel. Le Mémorandum Pentacle illustre un des aspects négatifs selon lesquels peut se pratiquer la science et les sociologues feraient bien de l’examiner de plus près au lieu de passer leur temps à chercher à ridiculiser les témoins désireux avant tout de faire part de leurs expériences, offrant là autant de cadeaux à la recherche.
Aujourd’hui, je suis convaincu que l’exécutif du gouvernement américain comme celui d’autres pays sait exactement à quoi s’en tenir sur la réalité physique et les implications stupéfiantes de l’existence des ovnis. Il me paraît évident qu’un accord tacite a été passé entre plusieurs gouvernements pour minimiser la question et décourager toute recherche privée.
Les résultats négatifs que nous avons obtenus au cours des années soixante après nos rencontres avec des hauts représentants du gouvernement français et le mur de secret et de refus auxquels nos efforts successifs se sont heurtés en sont les indices les plus probants.
Ceux obtenus par Allen Hynek à Washington furent identiques. La dissimulation des données en dehors de l’accord du Congrès américain est bien entendu illégale. Ce n’est pas le rôle de l’armée de les dissimuler délibérément au citoyen ou de tromper des scientifiques sur un sujet aussi important. Mais dès que nous essayons de trouver les preuves d’une conspiration encore plus secrète, il se pourrait que nous nous heurtions tout bonnement à de la stupidité bureaucratique pure et simple.
Nous devons nous résoudre à attendre qu’une lumière plus grande soit faite sur le sujet tout entier.
La quatrième de mes préoccupations concerne la tendance sectaire qui se manifeste chez les ufologues. Le chercheur sérieux qui a le courage de se confronter aux sceptiques doit aussi tenir compte de la dangereuse paranoïa qui règne parmi de nombreux propagandistes de l’Hypothèse Extraterrestre.
Beaucoup de chercheurs bénévoles à l’esprit ouvert qui ont documenté la question ont vu leur travail malheureusement perdu au milieu des vociférations de ceux qui réagissent à la façon outrancière de zélotes en train de bâtir un dogme religieux. Il faut avoir osé s’engager dans des débats avec les tenants de l’option “tôles et boulons” pour comprendre à quel point leur discours peut s’avérer haineux. Alors même qu’ils insistent pour que les scientifiques veuillent bien s’intéresser au phénomène, en même temps la seule chose qui leur importe vraiment est de voir se confirmer leurs théories personnelles sur sa nature et ses origines.
Certaines de leurs conceptions les plus paranoïaques ont aujourd’hui une influence non négligeable sur de très larges couches du public à cause de la charge émotionnelle qui résulte de l’attention obsessionnelle croissante que portent certains groupements à la question des enlèvements. Divers auteurs qui n’ont que des connaissances très limitées en psychologie clinique se sont arrogé le droit d’interroger des témoins sous hypnose, ce qui les amène à fantasmer dans le sens de leur propres conceptions qu’ensuite ils diffusent à des cercles de plus en plus larges au moyen de livres, films, conférences. Sous le masque d’une attitude emphatique et chaleureuse, l’action de ces écrivains débouche souvent sur une aggravation plutôt que la guérison des traumatismes subis par les enlevés tout en créant chez leurs lecteurs un sentiment de panique et de catastrophe imminente. Déjà au cours des années couvertes par ce Journal, la question des enlèvements avait été considérée comme l’un des aspects les plus intéressants de la phénoménologie ovni. L’enlèvement du brésilien Villas Boas, par exemple, avait été bien étudiée par le Dr Olavo Fontès avant d’être publiée en anglais par Gordon Creighton dans sa revue et le lecteur se souviendra qu’Allen et moi avions eu de nombreuses conversations non seulement avec ces deux chercheurs, mais aussi avec Betty et Barney Hill, le Dr Benjamin Simon et John Fuller, le talentueux écrivain qui fut le premier à attirer l’attention sur le phénomène des “temps manquants.”
Dès les années soixante-dix, une bonne douzaine de cas d’enlèvements figuraient déjà dans nos dossiers et des ufologues chevronnés tels que Jim et Coral Lorenzen en avaient documenté bien plus encore. Dès lors, il ne faisait aucun doute que cet aspect de la question avait été présent depuis le début. Ce qui nous paraissait une indication que le mystère que nous cherchions à résoudre avait des implications bien plus importantes encore que la simple venue sur Terre de visiteurs d’outre espace, aussi impressionnante que cette perspective puisse déjà apparaître. Non seulement le phénomène ovni était un défi vis-à-vis de nos conceptions de la réalité physique, mais il l’était aussi vis-à-vis de celles bien plus générales de ce que signifient “conscience” et “réalité”. Il remettait en outre en question tous les fondements de nos systèmes de croyance, y compris ceux des religions et de l’importance mythologique des relations entre les terriens et de créatures surhumaines supposées habiter le ciel.
Je pense que le phénomène des enlèvements est à la fois réel, traumatisant et très difficile à étudier. Il est regrettable que le petit groupe d’ufologues qui s’y est intéressé n’ait pas pris la peine de définir une méthodologie appropriée à cette étude. Au contraire, celle-ci a très vite débouché sur des querelles entre ceux qui pensent que les aliens viennent sur terre pour nous apporter leur aide et ceux qui les considèrent comme animés de mauvaises intentions.
En septembre 1991, Betty Hill elle-même fit part de sa déception lorsqu’elle décida de ne plus s’intéresser au sujet en parlant “de théories fumeuses, fantaisistes et imaginaires.”
Je pense qu’il se cache autre chose derrière le phénomène ovni et reste optimiste quant à l’aptitude qu’aura un jour la science de rendre compte d’événements inattendus, paranormaux ou qui se situent en dehors de la norme.
Nous devons être reconnaissants aux témoins de nous faire part de leurs expériences remarquables qui demandent à être expliquées, car ils ne sont pas responsables si elles remettent en question nos conceptions de la réalité. C’est au contraire aux hommes de science qu’il revient, après avoir patiemment éliminé les inévitables canulars et erreurs de perception, de mettre en valeur les pépites que contiennent les phénomènes inexpliqués authentiques.
Ceci devrait être fait de manière responsable, avec respect et dédication pour ceux qui se donnent la peine d’apporter leur témoignage et en gardant toujours à l’esprit les limitations de la science actuelle. Bien entendu, même s’il n’offre aucune solution toute faite à la question, à notre époque de profonds bouleversements théoriques, le phénomène ovni est une opportunité sans précédent de faire évoluer les concepts de la structure physique de l’univers. Même si nos chercheurs avaient la chance de récupérer des débris ou des échantillons de matière aliène, il faudrait peut-être des siècles pour qu’ils puissent en saisir la signification. Ceci ne doit pas nous surprendre quand on se souvient que l’histoire de la science est farcie d’exemples anecdotiques de phénomènes connus depuis longtemps, mais dont la mise en application ne s’opéra que très lentement. Par exemple, les premiers Egyptiens connaissaient les propriétés magnétiques de certains métaux et leur joaillerie prouve qu’ils se servaient de l’électroplastie bien qu’ils n’aient jamais réussi à formuler une théorie du fonctionnement des circuits électriques les plus simples. Dès le dix-huitième siècle, l’astronome Messier avait observé et catalogué les principales nébuleuses de l’hémisphère nord, mais ce n’est qu’au siècle suivant qu’on comprit qu’il s’agissait en réalité de galaxies extérieures à la nôtre.
Ce constat reste valable en technologie : connu depuis le début du XXe siècle, le principe du radar ne fut mis en pratique qu’à la fin de la seconde Guerre Mondiale.
La liste est très longue. Avant que des expériences anomalistiques puissent s’intégrer à une théorie nouvelle et qu’une jonction se fasse, il est nécessaire que de nombreux concepts parviennent à maturation. Même si nous n’en sommes toujours pas là dans la question des ovnis, cela ne devrait pas se traduire, que du contraire, au refus d’examiner les données.
Un examen attentif des paramètres physiques présents dans les meilleurs cas permet dès à présent d’entreprendre des recherches sur des topologies alternatives à nos conceptions de la réalité.
Au cours des années soixante-dix, l’écrivain Jacques Bergier, en observateur averti des derniers progrès technologiques qu’il était, avait déjà attiré mon attention sur le fait que nous devions revoir notre conception sur l’unicité de l’univers. La première leçon à tirer de l’existence des ovnis, pensait-il, pourrait être que nous vivons dans ce qu’il appelait un “Multivers” présentant bien plus de dimensions que ce que nous avions d’abord imaginé.
Il m’engagea à réfléchir aux modalités selon lesquelles un système de contrôle pourrait s’exercer au sein d’une telle diversité. L’écrivain de science-fiction Philip K. Dick développa avec talent des conceptions très proches dans une série de nouvelles étonnantes. Il avait appelé cette entité supérieure VALIS, initiales de l’anglais “Large Système Vivant d’Intelligence Consciente”. C’est à partir de ce point de vue des univers multiples et de la notion de système de contrôle que l’étude du phénomène ovni trouve sa justification scientifique, et non au niveau simpliste de la recherche d’un quelconque “mécanisme de propulsion”.
Le genre de technologie que les ovnis utilisent pourrait très bien ne pas s’appuyer sur ce que nous entendons aujourd’hui par “propulsion”.
La cosmologie admet la possibilité, voire même l’inéluctabilité de l’existence d’univers à dimensions multiples. Tant sur le plan des communications que de celui des voyages spatiaux, la possibilité de vitesses supérieures à celle de la lumière ou de la variabilité de la flèche du temps fait l’objet de nombreuses spéculations. L’idée même de la possibilité de voyager dans le passé est aujourd’hui admise sans soulever d’insurmontables paradoxes.
Ce sont des idées qui stimulent l’imagination et ouvrent de nouvelles perspectives aux spéculations théoriques ou expérimentales.
Si nous envisageons le monde qui nous entoure du seul point de vue informationnel et analysons les différentes manières selon lesquelles le temps et l’espace pourraient être interconnectés, l’idée de base d’une translation par des vaisseaux voyageant dans l’espace apparaît non seulement comme inadaptée, mais aussi comme simpliste. Elle a depuis longtemps été rendue caduque par les plus récents développements de la physique qui proposent une vision très différente de ce que pourrait être un modèle “extraterrestre.”
J’ai suivi le conseil d’amis avisés qui m’ont incité à poursuivre mes recherches à l’écart des feux de la rampe.
Il serait par conséquent injustifié de ma part de continuer à m’associer au milieu ufologique actuel. Je soupçonne que le phénomène se présente sous un aspect très différent dès que vous parvenez à vous tenir à l’écart des querelles de clocher qui viennent brouiller son étude et les pistes qui me semblent devoir être suivies. Les opportunités scientifiques vraiment importantes se trouvent ailleurs.
Avec le recul du temps, je m’aperçois qu’il y a beaucoup de choses que j’aurais dû faire pendant toutes ces années et dont je ne me suis jamais inquiété. Il m’aurait fallu notamment rassembler une documentation plus systématique sur la période où Ruppelt a dirigé Blue Book. Hynek, sur les souvenirs duquel je m’étais alors basé, reconnaissait lui-même que le Major avait été très peu disert sur de nombreuses questions et avait “caché son jeu.”
L’officier militaire n’avait pas accordé sans réserve sa confiance au consultant civil diplômé en astronomie qu’il était. Voilà un pan de l’histoire que j’aurais dû documenter alors que les dossiers étaient encore accessibles. Et le fait que personne d’autre ne l’a fait n’est qu’une bien piêtre consolation.
Les anciennes soucoupes volantes de cette époque continuent à évoluer parmi nous sous divers masques et déguisements. Il ne se passe pas un jour sans qu’une observation dont les détails ne sont que rarement connus ou documentés ne se produise quelque part dans le monde. Le résultat étonnant de cette situation est qu’un des mystères les plus importants et les plus surprenants de l’histoire de l’humanité continue à se répéter jour après jour sans que qui que ce soit n’y prête attention ou cherche à y apporter le plus petit début de réponse.
C’est de cet autisme de l’humanité, de son incapacité d’accepter l’existence de l’inconnu dont j’ai toujours honte aujourd’hui. Le seul souhait que je voudrais exprimer est que ce journal suscite des vocations d’apporter une réponse, individuelle ou collective, à ce défi.
La destinée humaine se situe quelque part entre la certitude de ses réussites scientifiques et la désolante constatation qu’elles n’arrivent jamais à rendre compte de toute la réalité.
D’autres forces entrent en jeu, auxquelles jamais nous ne sommes en peine d’attribuer à la fois des noms et des rôles. Nous les appelons indifféremment fantômes, esprits, extraterrestres et lorsque malgré tout cela nous n’arrivons toujours pas à nous en débarrasser, nous n’hésitons pas à décréter servilement qu’il s’agit en réalité de dieux, à la seule fin d’adorer ce que nous sommes en réalité incapables de comprendre, ou encore pour mieux idolâtrer ce que notre incurable paresse nous empêche d’étudier.
Je cherche une autre vérité.
En retournant à Pontoise, j’ai voulu revoir les collines de mon enfance, rendre visite à la tombe de mon père, retrouver les traces que j’ai suivies au début de ma quête, mesurer le chemin parcouru et ce qu’il m’a apporté.
J’en suis revenu avec la certitude qu’aujourd’hui encore, dans les mêmes circonstances, je prendrais les mêmes décisions.
Et que la seule chose qui compte vraiment dans la vie, c’est le mystère qui nous entoure, avec les moyens mis à notre disposition pendant tous les moments où notre conscience a pu être éveillée et à chacune de nos respirations.